Un retrait militaire français accéléré
La France a dû accélérer le retrait de ses forces militaires du Tchad, dernier pays du Sahel à accueillir des soldats français. Selon Alex Vines, directeur du programme Afrique à Chatham House, « la France a été surprise par la rapidité de son retrait du Tchad » et espérait maintenir une présence réduite dans le pays. Les autorités tchadiennes ont exigé le départ total du personnel militaire français avant le 31 décembre, obligeant Paris à agir rapidement.
Avant la fin de l’accord de défense, l’armée française comptait environ 1000 personnels au Tchad, répartis sur des bases à Abéché et N’Djamena. Un contingent de 120 soldats a déjà quitté le pays pour la France, tandis que les véhicules militaires devraient partir d’ici janvier via le port camerounais de Douala.
Les motifs de la rupture invoqués par le Tchad
Le ministre tchadien des Affaires étrangères, Abderaman Koulamallah, a justifié cette décision en affirmant qu’il était temps pour son pays d' »affirmer sa pleine souveraineté ». Il a décrit l’accord comme « complètement obsolète » et ne correspondant plus aux « réalités politiques et géostratégiques de notre époque ». Le Tchad a également précisé qu’il ne suivrait pas une « logique de substitution d’une puissance par une autre ».
Selon des observateurs politiques franco-tchadiens, plusieurs désaccords ont motivé la décision du Tchad. L’administration du président Mahamat Deby serait mécontente du manque de soutien financier de la France et de l’Union européenne pour les processus électoraux du pays. François Djekombe, président du parti Union sacrée pour la République au Tchad, a expliqué à la DW que « le Tchad a une sorte de méfiance envers la France et l’UE ».
Tensions liées au conflit au Soudan
Ryan Cummings, directeur de l’analyse chez Signal Risk, une société de gestion des risques axée sur l’Afrique, souligne que les tensions entre le Tchad et la France sont en partie liées aux critiques françaises sur l’implication du Tchad dans le conflit soudanais. La France et le bloc géopolitique occidental ont tenté de négocier un règlement entre les forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide (RSF), tandis que le Tchad aurait apporté son soutien aux RSF.
Cette situation a créé des frictions, le Tchad refusant toute critique de son positionnement en politique étrangère par un État extérieur. Comme l’explique Cummings, « ce n’est pas une rupture des relations diplomatiques comme nous l’avons vu dans d’autres États sahéliens. C’est juste que le Tchad ne va pas accepter de critiques sur son positionnement en politique étrangère de la part d’un État extérieur ».
Impact sur la lutte contre le terrorisme au Sahel
Le Tchad a longtemps été un allié clé pour la France dans sa lutte contre les militants islamistes au Sahel. Depuis son indépendance en 1960, les forces françaises ont fourni un soutien militaire crucial au Tchad, intervenant à six reprises. Cependant, des sentiments anti-français se sont répandus dans le pays, notamment après l’attaque meurtrière de Boko Haram contre des soldats tchadiens en octobre 2023.
Le gouvernement tchadien a accusé la France de ne pas avoir fourni de soutien ou d’informations après cette attaque, ce qui a conduit à des demandes de retrait des troupes françaises et à la fin du pacte de défense. Ladiba Gondeu, anthropologue social tchadien, a déclaré à la DW : « Avec la présence de satellites français, de drones et d’autres partenaires, cette attaque n’aurait pas dû se produire ».
Perspectives futures et nouveaux partenariats
La fin de l’accord de défense soulève des questions sur les futures alliances du Tchad et son impact sur les dynamiques régionales. Le pays a déjà ordonné le retrait des troupes américaines en mai et explore des liens plus étroits avec la Russie. Entouré de pays accueillant le groupe Africa Corps (anciennement connu sous le nom de Wagner), le Tchad pourrait potentiellement se tourner vers Moscou pour un soutien militaire ou matériel.
Cependant, le président Deby a souligné que la fin de l’accord de défense avec la France ne signifiait pas « un rejet de la coopération internationale ou une remise en question de nos relations diplomatiques avec la France ». Le Tchad cherche à « redéfinir ses partenariats stratégiques en fonction des priorités nationales ».
Pour l’avenir, Alex Vines suggère que les collaborations du Tchad avec les puissances européennes pourraient soit ressembler à celles du Niger, où des militaires italiens sont encore stationnés sur une base bilatérale, soit adopter une approche plus idéologique comme au Mali, qui a complètement rejeté tout engagement avec les partenaires occidentaux.
Cette rupture entre le Tchad et la France s’inscrit dans un contexte plus large de remise en question de la présence française en Afrique, comme le montre également le récent retrait militaire du Sénégal vis-à-vis de la France. Ces événements marquent potentiellement la fin de la « Françafrique » et un tournant dans les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines.